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QVT : « Tout est écrit, il faut maintenant passer à l’acte »


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Lundi 7 Mars 2022 à 11:01 | Lu 2017 fois


Créé en 2018, l’Observatoire National de la Qualité de Vie au Travail des Professionnels de Santé et du Médico-social (ONQVT) n’est aujourd’hui plus actif. Ses trois experts, Philippe Colombat, professeur émérite en hématologie au CHU de Tours, Matthieu Sibé, maître de conférences en Sciences de gestion, et Éric Galam, professeur en médecine générale, ont démissionné en novembre dernier pour « alerter » sur la nécessité de « passer dès aujourd’hui à l’action », comme nous l’explique Philippe Colombat, qui présidait l’ONQVT.



Philippe Colombat, professeur émérite en hématologie au CHU de Tours. ©DR
Philippe Colombat, professeur émérite en hématologie au CHU de Tours. ©DR
Pourquoi cette démission ?
Pr Philippe Colombat : Après trois ans et demi de travaux bénévoles au sein de l’Observatoire, force est de constater que la mise en place de nos préconisations ne semble pas être une priorité pour les pouvoirs publics. La mission nationale qui allait de pair avec l’ONQVT, n’a jamais réellement pris place. Le 5 juillet dernier, nous avions rencontré Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, pour lui faire part de notre principal constat : les recommandations sont là, il faut maintenant passer à l’action. En effet, les nombreux travaux menés ces dix dernières années, les nôtres mais aussi ceux du Pr Olivier Claris ou encore de Michel Lafourcade, formulent déjà de nombreuses pistes pour améliorer la qualité de vie au travail dans les établissements de santé, mais celles-ci ne sont toujours pas appliquées. Des moyens sont nécessaires pour pouvoir mettre en place des actions concrètes, pour la communication ou la création de réseaux, par exemple. Malgré nos multiples relances et alors que des engagements avaient été pris, le gouvernement n’a pas donné suite à nos demandes.

Vous avez donc démissionné…
Face à l’inaction des pouvoirs publics, nous avons en effet passé le pas en novembre dernier. Manifestement, les politiques publiques actuelles n’ont pas à cœur de mener les évolutions nécessaires à une amélioration réelle de la qualité de vie au travail dans les structures sanitaires et médico-sociales. Pour que la « Stratégie nationale de la QVT » ne soit pas uniquement cosmétique, et pour ne pas être nous-mêmes cautions de cet échec, il nous a paru évident que nous devions nous séparer de cette mission. Nous n’arrêtons pas, pour autant, nos actions sur le terrain, mais le temps n’est plus aux recommandations. Tout est écrit, il faut maintenant passer à l’acte.

Quelles étaient, pour vous, les premières actions à mettre en place ?
Lors de notre entrevue avec Olivier Véran, et même bien avant, dans le cadre de nos travaux au sein de l’Observatoire, nous avions émis plusieurs demandes. Nous souhaitions, par exemple, mieux faire connaître les mesures liées à la QVT par le biais d’une plateforme de communication dédiée aux professionnels sur le terrain. Nous voulions également pouvoir avoir des échanges très réguliers avec les responsables QVT au sein des Agences Régionales de Santé, des fédérations et des syndicats, afin qu’ils fassent office de relais dans la diffusion des bonnes pratiques. Il nous paraissait également utile de mettre en place, probablement via les ARS, des comités de suivi des mesures dans les établissements. Enfin, nous demandions des moyens pour la recherche. Sur ce point, nous poursuivons d’ailleurs nos travaux, avec la création prochaine d’une association nationale dédiée à la recherche en QVT. Comme souligné plus haut, nous poursuivons tous nos actions. Notre système de santé en a besoin. Dans le sanitaire comme dans le médico-social, nous n’avons jamais connu une telle situation : les démissions affluent, le secteur peine à être attractif. La santé se meurt.

Quel rôle joue ici la crise sanitaire ?
Elle a mis en lumière de nombreuses difficultés, certes, mais celles-ci préexistaient. Les actuelles démissions en cascade sont révélatrices d’un problème plus profond, qui ne peut être uniquement résolu par le biais des salaires. Il faut également diminuer la charge de travail, et mieux prendre en compte tout ce qui participe à la qualité de vie au travail des professionnels de santé : adaptation des postes, augmentation des effectifs… Les dernières mesures prises par les pouvoirs publics, qui se contentent de flécher les budgets vers une revalorisation salariale en occultant le reste, ne résoudront rien. Il est d’ailleurs regrettable que ce sujet ne soit pas abordé par les candidats à l’élection présidentielle. Ils doivent pourtant tous se rendre compte que le monde de la santé va mal… C’est la première fois qu’il y a autant de postes libres dans les hôpitaux. Pour éviter que cela ne s’aggrave, nous devons revoir tout le système, redonner de l’autonomie aux services de soins et aux soignants. La crise sanitaire a vraiment mis cette nécessité à jour. Les professionnels de santé ont, pour un temps, eu davantage de marge de manœuvre. Ils pensaient que cela perdurerait, que le système allait évoluer. Puis tout est redevenu comme avant. Certains décident donc de quitter l’hôpital, de partir dans le privé notamment. La prise en compte de la QVT n’y est pas forcément meilleure, mais du moins les professionnels y sont plus autonomes et peuvent créer leur propre environnement.

Vous évoquiez plus haut la création d’une association autour de la recherche en QVT. Pourriez-vous nous en parler ?
L’ONQVT n’est plus, mais les actions se poursuivent. Le 25 mars prochain, les principaux acteurs de la recherche sur la QVT en santé se réuniront donc pour créer officiellement cette association nationale, sorte de Réseau QVT en Santé. Issue des travaux d’un comité de pilotage regroupant huit personnes, elle cible 25 groupes de recherche travaillant sur la QVT ou les risques psychosociaux dans les secteurs de la santé, du médico-social et des soins à domicile. En formant ce réseau, nous comptons bien structurer la recherche autour de ces sujets, mais aussi créer une dynamique et avoir une visibilité nationale, voire européenne.

Sur quels champs portent vos recherches actuelles ?
Le cœur de nos travaux concerne l’identification des déterminants et des conséquences de la QVT. Au sein de l’association Aquavies (Association pour la qualité de vie des soignants), dont je suis le président, nous travaillons par exemple sur la démarche participative. Ce modèle repose sur des espaces d’échanges avec les soignants et la constitution de groupes de travail autour de l’exercice professionnel réel. Nous avons pu démontrer son impact positif sur la qualité de vie au travail, mais aussi sur la qualité des soins. Des démarches similaires peuvent d’ailleurs être mises en place dans le médico-social et les soins à domicile. En tout état de cause, les projets ne manquent pas en matière de QVT : de nombreuses actions sont possibles pour améliorer le quotidien des soignants et donc l’attractivité des établissements de santé.

Quels conseils donneriez-vous pour justement renforcer l’attractivité de l’hôpital ?
Pour attirer les soignants, il faut d’abord et surtout modifier la gouvernance, en redonnant de la place aux médecins et, plus largement, à la communauté soignante. C’est pour cela que je soutiens l’établissement d’une gouvernance médico-administrative, qui associerait également des représentants de soignants. Il faudrait également déléguer la gestion au niveau des pôles et des services de soins, qui doivent par ailleurs être réhabilités, retrouver leur place. Le management de proximité est également important. Les démarches QVT peuvent ici passer par une égalisation de la charge de travail, par la mise en place d’espaces d’échanges, avec en particulier des réunions de service pour établir un projet de prise en charge globale du patient. La QVT passe aussi par la formation des managers : direction, cadres et médecins. Ces derniers doivent être formés à l’accompagnement des équipes. Cela est vrai à l’hôpital comme dans le médico-social, où les problématiques rencontrées sont assez similaires et principalement liées à un management et une charge de travail inadaptés. Ces changements peuvent sembler impressionnants, j’en suis conscient, mais ils sont nécessaires pour pérenniser notre système de santé. Sans cela, nous allons droit dans le mur.  

Article publié dans l'édition de février 2022 d'Hospitalia à lire ici.
 

©DR
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Le Professeur Philippe Colombat, pionnier de la QVT en santé

Professeur émérite d’hématologie au CHRU de Tours, Philippe Colombat a successivement dirigé les services d’hématologie et d’oncopédiatrie, ainsi que le pôle de cancérologie-urologie. Il a mis en place un modèle de management participatif dès 1989, à son arrivée au poste de chef du service d’hématologie clinique du CHRU de Tours. Très actif dans les milieux des soins palliatifs et de l’hématologie, il quitte en 2008 son équipe de recherche en hématologie fondamentale pour devenir chercheur en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Tours. Philippe Colombat multiplie alors les travaux autour de la qualité de vie au travail, démontrant les bénéfices du modèle né dans son service d’hématologie clinique, pour la QVT comme pour la qualité des soins. En 2016, il obtient notamment le Trophée de l’innovation managériale dans la catégorie « Conduite du changement », remis par la Chaire de l’ESSEC. Deux ans plus tard, en 2018, le Pr Colombat est nommé président de l’ONQVT, poste qu’il quitte en novembre 2021.
 






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